Constat alarmant. L’échec de l’urbanisme algérien

Depuis quelques années, les villes comme les villages et l’ensemble des établissements urbains algériens connaissent une invasion fulgurante de constructions inesthétiques et désordonnées, publiques et privées. Aucun environnement ne semble épargné ; palmeraies, forêts, sites authentiques, villages socialistes, zones d’habitat rural, zones côtières, etc., succombent d’une part de plus belle aux terrassements uniformisants des décisions qui agissent au nom de la règle hyper-résistante des politiques urbaines en cours « de la priorité et de l’urgence », et d’autre part, à l’informel qui a pris une ampleur déconcertante dans tous les projets réalisés.

Les paysages qui ne sont plus paysages apparaissent totalement déchiquetés, les quelques quartiers qui sont restés jusque-là homogènes sont désormais irréguliers, les ZHUN ont été parsemées de constructions publiques et privées étrangères à l’esprit de la version originelle, les promotions immobilières opportunistes ont repris les recettes du public. Dans certaines villes, on n’hésite plus à démolir des édifices historiquement symboliques en vue de libérer des assiettes pour des projets inconnus.

L’absence de mentors visionnaires dans le domaine de l’urbanisme et l’inexistence d’un quelconque projet de ville au niveau des planifications urbaines fatalement nationales ont ouvert la voie à toutes les formes de voracités très individuelles, avec l’implication désolante des architectes qui ont choisi de s’engager dans les rangs de la promotion immobilière anti-urbaine (dixit Nicholas Michelin, architecte). Les architectes contre la ville, pour ne pas le dire par souci de contextualisation comme Bernard Huet « L’architecture contre la ville », ont fini par faire légion, après avoir servi de faire-valoir aux projets du moins-disant public.

Une fabrication chaotique de l’urbain.

Halte à l’hémorragie de la laideur

Dans ce tableau urbainement chaotique, qui n’est pas une fiction, tout le monde se révolte au fond de lui-même, de manière inéluctable contre la laideur qui a pris une ampleur incommensurable dans nos environnements urbains. Les habitants des villes algériennes vivent dans le stress permanent. Ils n’espèrent plus vu l’ampleur des dégâts urbains, l’élaboration et la réalisation de projets modèles qui donneraient aux générations futures l’occasion de grandir dans des environnements qui les font rêver.

La gouvernance urbaine est restée un discours « occasionnel » de nos décideurs. Les planifications comme les idéologies nationalistes n’ont jamais enfanté un urbanisme cohérent. Les cités récentes que certaines chaînes de télévision ont pris la peine et l’habitude d’en dénoncer la qualité médiocre du bâti et des aménagements (comme la cité 350 logements de Birkhadem) ne peuvent aucunement encourager l’éclosion d’un sentiment de citoyenneté assumé. Les habitants dans l’ensemble du territoire national sont obligés de loger dans des immeubles bourrés de malfaçons tolérées par les pouvoirs publics au nom d’une crise de l’immobilier qui ne semble pas être sur le point de cesser.

Certes, l’Etat n’a pas donné l’exemple dans le secteur de la construction, et nous ne pouvons que le déplorer, d’autant plus que ce n’est pas une loi (n° 08-15 du 20 juillet 2008, fixant les règles de mise en conformité des constructions et leur achèvement) qui va améliorer le chaos ; au contraire, la loi citée ci-devant ne fait que demander aux Algériens disposant de biens immobiliers de terminer les laideurs en cours, pour mieux consacrer la laideur urbaine à l’échelle nationale.

Nos villes sont chargées de projets de construction et d’aménagement peu réfléchis, dont un bon nombre sont issus de décisions à la fois hasardeuses et abusives. Confrontées au caractère révolu des Plans d’urbanisme (PDAU, POS, etc.) tels qu’ils sont produits en Algérie et leur inapplication ou applications tardives, et aux dépassements multiples des constructeurs de tous azimuts qui commencent à exposer nos milieux urbains aux risques majeurs des écroulements et des affaissements, nous assistons depuis quelques années à des aménagements urbains ne répondant à aucune norme de réalisation, et ne subissant généralement aucun contrôle technique sérieux à l’échelle de l’urbain. Ainsi donc, chaque intervention publique, et depuis peu privée, est redoutée, posant sérieusement la question de la qualité de la maîtrise d’ouvrage, l’opérationnalité des règles de l’urbanisme qui ne demandent qu’à être revues totalement, mais surtout de l’existence d’une gestion urbaine vigilante et responsable.

Revoir la formation en architecture et en urbanisme. La nécessité d’une formation adaptée aux réalités locales

Revenir à une exigence de formation en architecture de qualité demande un courage de changement de politique inédit de la part de nos décideurs qui ont choisi malheureusement d’industrialiser la production des diplômés en architecture, ce qui ne signifie pas former des architectes. La formation en urbanisme demeure très insuffisante et certainement hors contexte. L’absence de formations adaptées aux contextes contemporains et inspirées des réalités locales, au lieu de la proposition de formations spécialisées le plus généralement coupées des véritables questions aussi bien architecturales et urbaines et se limitant à des exercices d’amateurismes formels, a fini en plus d’autres facteurs liés à la qualité des environnements pédagogiques par discréditer l’enseignement de l’architecture.

Il est temps de comprendre que la formation de l’architecte doit se doubler impérativement de la formation de l’homme, et que l’architecte doit œuvrer à préserver sa qualité d’homme de l’esprit au lieu de l’intérêt comme c’est le cas du promoteur de l’immobilier. En ce sens, nous pensons qu’il faut œuvrer à l’installation de concours d’accès difficile à la filière d’architecture tout en la suggérant à tous ceux qui souhaitent proposer leur candidature en connaissance de cause. Ensuite proposer une formation exigeante et difficile sans complexe qui ne garantit pas l’obtention du diplôme. En d’autres termes mettre un terme aux discours populistes en milieux universitaires. Mais il faudra surtout préparer les jeunes apprenants à résister aux dérives et incohérences du marché, à ne pas céder à la domination des promoteurs de l’immobilier dans leur logique financière, et à être donc et avant tout des chercheurs du bien-être.

Respect et responsabilisation des architectes et des urbanistes. Pour une exigence de la qualité

Malheureusement, nous avons tous constaté que les architectes ont depuis longtemps déserté leur rôle de base. Le diplôme obtenu n’a fait que justifier leur présence dans le marché très désordonné de la construction lequel a fait émerger leur inconscient économique. Malgré la création de l’Ordre pourtant acteur institutionnel, aucun débat sérieux ne s’est imposé sur l’architecture. L’Ordre au contraire n’a fait que technocratiser la maîtrise d’œuvre, il l’a soumise de plus en plus aux règles traditionnelles de l’Etat providence devenu depuis quelques années promoteur de l’immobilier, et à l’hégémonie des entreprises de construction.

Si l’immobilier souffre d’une crise qui ne fait que perdurer, la corporation des diplômés d’architecture souffre elle d’une crise dramatique de représentativité. En fait, c’est une montagne de crises qui empêche nos villes d’acquérir une image respectable, satisfaisante. Qualité de la maîtrise de l’ouvrage, qualité de la maîtrise d’œuvre, voire même qualité des règles à appliquer selon les contextes, sont toutes des exigences à matérialiser absolument.

Dans ces conditions où l’urbaniste demeure un agent de bureau public, restreint à appliquer des formules sans réelles portées sur la réalité, et des architectes n’envisageant la commande que comme moyen d’enrichissement, il devient urgent de revoir l’organisation de tout le secteur de la construction, mais plus exactement de la fabrication de la ville à partir d’un véritable ancrage culturelle.

Appel à un nouvel urbanisme démocratique

L’urbanisme d’Etat comme les autres formes d’urbanisme sont à l’origine de la laideur dominante dans nos agglomérations urbaines. Nous sommes au point de nous poser la question si nous disposons encore de villes au sens classique du terme qui permettent l’affirmation d’un citoyen modèle. L’urbanisme issu des programmes d’habitat (type AADL) est une preuve flagrante d’une régression urbaine alarmante, elle nous fait revenir aux modèles des grands ensembles des années 1950-1960 édifiés dans des contextes particuliers dans différents coins de l’Europe qui se hâte aujourd’hui de les démolir.

Le coût social à payer risque d’être nettement plus élevé que le coût économique de nos cités de l’urgence.

La gestion nationale de l’habitat comme de la ville dans notre pays est révolue. Il est temps de démocratiser la pratique de l’urbanisme et de le déplacer sur le terrain du débat, de donner la parole au potentiel local, de se réconcilier avec l’idée en la célébrant dans des concours organisés démocratiquement loin de l’opacité de l’appareil politico-administratif lequel doit se suffire de son rôle de régulateur.

Seuls des esprits reconnus pour leur capacité intellectuelle à gérer les questions de l’urbanisme doivent être chargés de la responsabilité de s’occuper des villes. L’urbanisme algérien doit être délesté des rigidités des formules technocratiques, idéologiquement politiques, et focaliser sur la gestion locale.

Source: Le Quotidien le 23-08-2016

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