Les autorités ont prévu l’attribution de près de 25  000 nouveaux logements sur l’ensemble du territoire national. Ces opérations de relogement, reflet de la gouvernance actuelle, de grande ampleur ne sont pas sans conséquences sur le paysage urbain et social.

Conséquences urbaines d’une hâte politicienne

A l’approche d’échéances électorales ou en temps d’extrême tension sociale, le pouvoir algérien fait régulièrement des concessions et celles-ci prennent souvent la forme de promesses autour du logement afin de résorber la crise qui prévaut dans ce secteur à l’échelle nationale. C’est ainsi, dans la hâte, que les logements sont construits, ce qui génère d’importants problèmes. Safar Zeitoun, sociologue, spécialiste des questions urbaines, est formel : «Les plans de relogement sont souvent décidés dans l’urgence et réalisés dans des endroits peu urbanisables.»

Une méthode qui conduit à des difficultés urbanistiques de fond, à un étalement urbain non maitrisé par les autorités. Safar Zeitoun poursuit ainsi : « Si cela est une bonne initiative, il faut confier les différents projets à des bureaux d’études spécialisés dans l’urbanisme, mais l’Etat ne se donne pas le temps», car il s’agit davantage de projets politiciens que de projets urbains. Karim Louni, président du conseil de l’Ordre des architectes d’Alger, est pour sa part plus sévère, il critique l’absence «de maturation de projets réalisés dans la précipitation» et déplore que ces grands ensembles soient construits «sans concertation aucune» avec des spécialistes en architecture et urbanisme.

Reflet d’une mauvaise gouvernance

Les plans de construction de grands ensembles destinés au relogement sont conséquents, comme le note Safar Zeitoun : «L’ampleur des plans de relogement en Algérie est exceptionnelle et le caractère essentiel de ceux-là est le nombre de ménages concernés.» En effet, entre 2004 et 2010, ce sont près de 300 000 personnes qui ont été relogées à Alger et un peu plus d’un million à l’échelle nationale. Pour Karim Louni, en termes de nombre de logements construits, «c’est une seconde Algérie qui serait construite dans cinq ans si les opérations de relogement se poursuivent».

Et d’ajouter : «Ces plans de relogement reflètent un bricolage, une mauvaise gouvernance» de la part de l’Etat. En dépit d’ambitieux plans et d’importantes constructions, Halim Faïdi, architecte et lauréat du Prix national d’architecture, dresse un constat amer, la crise du logement que vit l’Algérie n’a toujours pas disparu : «La crise du logement est exactement la même en Algérie. Depuis 1967, c’est le même chiffre de 1,8 million de logements manquants qui existe.»Aussi les plans étatiques n’arrivent pas à contenir la pression démographique du pays. De plus, la multiplication des plans de relogement visant à acheter la paix sociale modifie les comportements des citoyens. Pour Halim Faïdi, «ce n’est pas une crise du logement qui existe, mais une crise du logement privé. Beaucoup de logements privés sont fermés car la formule locative n’a pas de succès». Pour lui, l’Etat est en train de créer l’idée qu’il existe «un droit au logement gratuit et non un droit au logement».

Zizanie foncière

Un expert foncier, qui s’est penché sur la question de relogement, souligne un autre souci que posent les opérations de construction de nouveaux grands ensembles, certes méconnu mais tout aussi intéressant, celui des assiettes utilisées pour la construction : «De par la hâte constante dans laquelle les constructions sont réalisées, les dispositions administratives concernant le statut des terrains ne sont pas prises.»

En réalité, plusieurs de ces nouvelles cités sont construites sur des terres destinées à l’exploitation agricole, «qui sont d’ailleurs parfaitement constructibles», comme tient à le préciser l’expert. Et de poursuivre : «En revanche, quand on veut faire passer un terrain agricole à un terrain d’exploitation et de construction, il faut procéder à son déclassement dans les services du ministère de l’Agriculture afin qu’il ne soit plus considéré comme tel. Ce n’est pas toujours le cas, et on se retrouve alors au niveau du cadastre avec des terrains agricoles pourtant utilisés pour la construction.» Cette situation peut s’avérer problématique dans la mesure où dans certains cas, elle empêche l’établissement d’un acte de propriété conforme. Plus encore, le pays se trouve privé de ses terres cultivables ; il importe alors l’essentiel de ses besoins agricoles, en particulier dans le secteur céréalier. L’année dernière, la facture des céréales avait atteint 2,92 milliards de dollars pour une augmentation de 3,03%.

Désharmonie urbaine

Les plans de relogement donnent lieu à la construction de «grands ensembles, de cités pouvant contenir de 800 à 1000 logements», estime Safar Zeitoun, qui souvent «sont standards et peu élaborés dans la recherche de la diversité des formes. Cela aboutit à un paysage monotone, sans âme urbaine». La cohérence architecturale n’est dès lors pas respectée, selon Karim Louni. Il considère que «le logement est un outil pour produire et étendre la ville alors que là, elle la détruit.»

Dans de telles conditions, le paysage urbanistique des villes du pays pâtit d’un manque flagrant d’harmonie esthétique, mais aussi d’un manque de maîtrise de l’étalement urbain : «Les plans successifs de relogement et de construction de logements qu’ils supposent empêchent les pouvoirs publics de gérer l’étalement et la croissance de la ville, les espaces urbains ne sont pas équilibrés», assène ainsi Karim Louni. L’expert foncier est quant à lui catégorique : «La volonté de l’Etat dans ces constructions étaient de créer des zones périurbaines et au lieu de ça, nous avons droit à des cités incohérentes, inesthétiques et qui posent problèmes à tous les niveaux.»

Crise persistante de l’infrastructure

Dans les premières années des opérations de relogement, les appartements livrés étaient souvent mal finis et le raccordement aux réseaux d’infrastructures, tels que l’eau, l’électricité ou le gaz, était parfois inexistant. Si ces problèmes sont aujourd’hui résorbés, cela ne signifie pas que les infrastructures dont sont dotées ces nouvelles cités par ailleurs sont performantes. Safar Zeitoun concède ainsi que «l’Etat a fait des efforts sur la question de l’infrastructure de base et livre désormais de manière régulière des logements finis et équipés de manière adéquate».

Cependant, il relève un autre aléa, celui de l’infrastructure routière : «Un problème majeur persiste : l’accès routier à ces nouveaux sites sans compter que certains, de par leur localisation, créent des points de congestion impressionnants.» Pareillement, les nouveaux quartiers ainsi créés sont parfois mal desservis par les transports en commun, rendant les déplacements de ces nouvelles banlieues vers le centre-ville contraignants. De même, les équipements mis à disposition des populations sont souvent rudimentaires, lorsque ceux-ci existent. Ainsi, Halim Faidi dénonce «l’absence de commissariat, de cafés, de boutiques qui représentent les commodités d’une ville et qui manquent à ces cités». De même, pour Karim Louni, «l’équipement est un élément clé de la vie urbaine et dans les cités où sont relogés les Algériens, il est quasi inexistant. On confond logement et habitat.»

Déracinement social

Au-delà de l’aspect urbain, les opérations de relogement supposent des modifications sociales profondes. En effet, le déplacement de son environnement d’origine vers un espace nouveau n’est pas sans conséquences à l’échelle individuelle, comme l’affirme Halim Faidi : «On ne peut pas déraciner une personne de là où elle a évolué tant d’années, où elle a construit sa vie, ses souvenirs.» Le traumatisme ainsi créé se répercute sur la vie collective de la cité mais aussi de la ville. Safar Zeitoun, qui a mené plusieurs travaux de recherche dans des sites de relogement, notamment à Dar Eddiaf (Alger) explique : «Le traumatisme est un peu trop fort pour les populations relogées, c’est une rupture notamment avec leurs activités antérieures.»

En effet, la vie dans ces nouvelles zones ne répondant pas aux normes de la vie en ville en termes d’équipements et de loisirs, elle entraine une modification radicale du mode de vie. Safar Zeitoun prend ainsi un exemple particulier de l’expression du malaise que nourrissent certains relogés : «L’éloignement de la résidence initiale est problématique pour les personnes vivant d’activités économiques informelles, elles souffrent de cet éloignement tout simplement parce que la ville est le cœur de ce genre d’activités et la distance qui les sépare de celle-ci est un frein» au travail informel.

Ghettoïsation et exclusion sociale

Les personnes éligibles au relogement le sont sur critères sociaux ou alors parce qu’elles vivent dans des habitations insalubres, des bidonvilles. Dès lors, «ces grands immeubles rassemblent souvent des populations démunies qui sont parquées sans diversité sociologique», note Safar Zeitoun. «Parqués», un terme fort renvoyant à l’exclusion sociale que subissent les populations relogées, constat que partage Halim Faidi : «On crée des ghettos de pauvres, où les conditions minimums de vie ne sont pas assurées.» Karim Louni juge, pour sa part, que les opérations de relogement ne concourent pas à l’établissement «d’un milieu propice au bon-vivre ensemble».

La ghettoïsation et l’exclusion sociale exacerbent les tensions au sein de ces grands ensembles, où les épisodes de violence et les actes de criminalité sont récurrents, menant à une stigmatisation des personnes y vivant, de la part des autres citadins alimentant précisément l’exclusion sociale de départ dans un cercle vicieux sans fin. Plus dissimulée mais déterminante, la stigmatisation au sein même de la cité, Safar Zeitoun analyse ainsi : «Derrière l’apparente homogénéité sociale de personnes modestes, se cache en réalité une diversité au sein des populations relogées qui a trait à la nature des opérations de relogement. Celles-ci sont faites par groupes et on regroupe plusieurs quartiers entiers dans un même endroit. Il arrive ainsi que l’identité communautaire soit trop forte. Chaque groupe essaye ainsi de s’approprier un espace particulier, créant ainsi des phénomènes de stigmatisation internes.» Dans de telles conditions, ce sont des nids de violence qui sont créés et Karim Louni est convaincu que tôt ou tard, il faudra «détruire» ces ensembles problématiques à bien des égards.
Source: El Watan

Article précédentHabitat: les projets du quinquennat 2010-2014 totalement mis en chantiers en août
Article suivantFarouk Amrane. Porte-parole des souscripteurs pour le logement LPP Est-il normal qu’un logement à Chéraga coûte le même prix qu’à Djelfa ? Taille du texte normale
Notre rédaction est constituée de simples bénévoles qui essaient de regrouper toute l'information concernant le logement dans un seul et même site