Les bidonvilles sont toujours d’actualité (Djebahia, Aïn Bessam, Lakhdaria, etc.), même si au niveau du chef-lieu de wilaya, des efforts ont été consentis afin de les éradiquer.

Il y a des déclarations officielles qui font gentiment sourire, dans le meilleur des cas, et dans le pire, poussent à s’interroger si le gouvernement et les gouvernés vivent dans la même galaxie. Ainsi et à en croire Abdelmadjid Tebboune, ministre de l’Habitat, de l’Urbanisme et de la Ville, notre pays “est en avance” en matière d’habitat, en s’appuyant sur un rapport de l’Agence onusienne pour l’habitat.
“Nous sommes fiers que l’Algérie soit en avance de 15 ans par rapport au programme ONU-Habitat, et ce, grâce au programme initié par le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, lequel a permis d’atteindre en 2016 l’objectif d’une capitale sans bidonvilles”, a-t-il récemment affirmé à Béchar. Et concernant certaines ONG qui avancent l’exact contraire de cette affirmation, M. Tebboune brandit la désormais célèbre thèse de la conspiration contre l’Algérie. “Les rapports des ONG qui dressent un tableau noir de l’Algérie sont le fait de lobbies bien connus.” Cependant, nul besoin de rapports onusiens ou bien ceux de certaines ONG pour se faire une idée sur la situation du logement en Algérie. Les faits parlent d’eux-mêmes et ne peuvent être travestis.

Un quartier pas si résidentiel que cela…
À Bouira, l’habitat précaire est loin d’être résorbé. Les bidonvilles sont toujours d’actualité (Djebahia, Aïn Bessam, Lakhdaria, etc.), même si au niveau du chef-lieu de wilaya, certains efforts ont été consentis afin de les éradiquer. Néanmoins, les mal-logés sont légion à Bouira-ville et font l’objet d’une marginalisation de la part des autorités locales. En 2017, dans une Algérie qui se veut “digne et fière”, des dizaines de familles vivent ou plutôt “vivotent” dans des garages de fortune. La cité des 56-Logements, sise au cœur de Bouira, est un quartier qui se veut tranquille. Isolée du brouhaha de la ville, car perchée sur une petite colline, ayant récemment subi des travaux d’aménagement urbain, cette cité a tout d’un quartier résidentiel. Mais en y regardant de près, on remarque certains citoyens qui s’engouffrent dans ce qui s’apparente à des locaux commerciaux ou des garages de voitures et ne plus en sortir, jusqu’au lendemain. En s’approchant d’encore plus près, on constate que ces citoyens rentrent dans ce qui est leur modeste demeure.

À six dans 9 m² !
Intrigués par cette étrange situation, nous avons sollicité Mustapha Hachali, ancien président de l’association de ce quartier.
“Nous sommes des locataires d’un genre assez particulier, car nous louons des garages d’à peine 9 m² pour des sommes exorbitantes qui vont jusqu’à 12 000 DA pour certains”, dira d’emblée notre guide d’un air désabusé.
Et d’ajouter : “Nous nous considérons comme étant des parias de la société. Nous sommes marginalisés et abandonnés à notre triste sort.” Notre accompagnateur nous présentera ensuite l’un de ces locataires. Prénommé Djamel, la cinquantaine bien entamée, les yeux cernés, la mine déconfite et les mains usées par le travail, il nous fera visiter “sa” maison, laquelle ressemble beaucoup plus à un vaste cagibi. Une fois à l’intérieur, une forte odeur de gaz nous “prend à la gorge”. C’est le chauffage à gaz qui dégage une odeur asphyxiante, accentuée par un manque d’aération. “Il est tout le temps allumé. Sinon, on risque de nous retrouver morts de froid”, a-t-il expliqué. Un tableau des plus insupportables nous agresse d’emblée : salon, cuisine, salle de bains, WC et chambre à coucher, le tout dans une seule pièce. “Nous sommes six à nous entasser dans cette pièce”, dira Djamel, le regard hagard. Et d’enchaîner : “Figurez-vous que je loue ce taudis 8 000 DA par mois. Avec mon faible revenu, ajouté aux différentes charges et la pression du propriétaire qui me menace chaque fois d’augmenter le loyer, ou bien de prendre mes bagages et de m’en aller, je ne sais plus comment faire”, nous dira-t-il.


©Ramdane Bourahla/Liberté

“Comme si nous étions des parias”
Un peu plus loin et dans la même cité, nous faisons la rencontre de Mme Malika T., une mère célibataire qui subvient aux besoins de sa famille et qui “recueille” sa fille mariée divorcée sous son “toit”. Cette femme courage illustre, à elle seule, on ne peut mieux, le désarroi de ces familles. “Je paie un loyer de 9 000 DA pour un garage de 10 m² ! Soit quasiment 1 000 DA le mètre carré. Mais que voulez-vous… Ça ou dormir sous les ponts !” Au niveau de la pièce centrale (l’unique), des seaux sont disposés un peu partout pour recueillir les gouttes d’eau qui tombent de la toiture. La charpente est complètement usée, les fissures ont creusé des sillons dans les murs. Des fils électriques pendouillent de partout et peuvent être à l’origine d’un drame. Tout comme le précédent gourbi visité, l’espace vital de cette famille de 5 membres est réduit à son strict minimum. “10 m², c’est l’espace d’une cellule de prison, je crois… Tout compte fait, non, c’est plutôt une tombe. Car les prisonniers ont un minimum de confort”, lance-t-elle. Et de poursuivre : “À la tombée de la nuit, on peut vraiment ressentir le véritable sens de l’enfer sur terre…” D’autres familles chez lesquelles nous nous sommes rendus n’hésitent pas à s’en prendre avec virulence aux pouvoirs publics. “L’État nous traite comme si nous étions des parias, avec mépris et dédain (…) Nous sommes las de cette vie misérable. Jusqu’à présent, nous étions patients et nous avons remis notre triste sort entre les mains des élus et des responsables locaux, mais la patience a des limites”, menacent-ils.

Propriétaires ou marchands de sommeil ?
Ces locataires possèdent-ils un contrat de location ? Selon M. Hachali, aucun ne possède un bail de location, pour la simple raison que les propriétaires refusent de leur établir le moindre document. “On est tous à la merci des propriétaires (…). Ils peuvent se réveiller un beau jour et nous mettre à la porte et nous n’aurions aucun moyen pour nous défendre”, explique-t-il. Là, un locataire prendra la parole afin d’expliquer une chose aussi cruelle que simple : “Ils ne veulent pas nous établir de contrat pour qu’on soit toujours à leurs bottes. Ils peuvent nous écraser en une fraction de seconde, et à leurs yeux, ils nous font une fleur en nous louant ces garages”, fait-il remarquer. Avant d’ajouter : “Nous sommes face à des profiteurs. Ils profitent de notre détresse pour nous imposer leur diktat, et comme nous n’avons pas le choix, nous sommes obligés de nous soumettre.” En termes plus clairs, ces familles sont des victimes de ce qu’on appelle communément des marchands de sommeil. En effet, ces propriétaires peu scrupuleux font de la détresse de ces familles leur fonds de commerce et n’hésitent pas à faire pression sur ces locataires en vue d’une hausse de loyer aussi minime soit-elle. “On est pris entre le marteau et l’enclume. Si on ne paie pas, on dégage et un autre vient à notre place. C’est aussi simple que cela !”, dira Mustapha. Lors de notre passage sur les lieux, aucun propriétaire n’a souhaité nous répondre. Notre présence a même suscité la colère de certains, qui ne souhaitent pas que leur “business” soit mis en lumière. Toutefois, un propriétaire, qui a requis l’anonymat, acceptera de nous parler en disant simplement : “C’est mon bien et j’en dispose comme je l’entends. Pour moi, je leur fais une faveur en leur cédant mon garage à 6 000 DA, alors qu’il pourrait me rapporter le double.”

Entre suspicion et désunion
Si on devait se fier aux déclarations des uns et des autres, les “coupables” de ce désastre humanitaire, car c’en est réellement un, sont les pouvoirs publics et les propriétaires. Néanmoins, les choses ne sont pas si manichéennes que cela. Ces locataires ont également leur part de responsabilité dans la situation qu’ils endurent. Sur une trentaine de familles vivant dans ces gourbis, quatre seulement ont accepté de témoigner, les autres se disaient non concernées, voire “dans une paix royale”, alors qu’elles sont toutes dans la même galère. Mieux encore, et selon M. Hachali, l’association dont il était le président a été dissoute par manque de soutien et de solidarité de la part des mêmes familles pour lesquelles elle se battait. “Je me suis retrouvé seul, et quand je pensais faire aboutir notre cause, je me suis rendu compte que d’autres m’avaient devancé et ont joué en solo (…). Certaines familles ont été relogées, mais selon moi, pas celles qui le méritaient vraiment”, a-t-il admis. Et d’ajouter : “Récemment, le chef de daïra de Bouira m’a dit textuellement : parle pour toi et non pour les autres. Au bout du compte, il a peut-être raison.” Au terme de notre entretien, notre interlocuteur exhortera les autorités à faire preuve de “justice et d’équité” dans la prochaine opération de distribution de logements. “Elles (les autorités, ndlr) ont tous les documents en main et les preuves nécessaires pour ne léser personne. Qu’elles fassent leur
travail et mettent fin à notre calvaire”, conclut-il.

Source: Reportage Liberté le 15-01-2017

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