L’emploi et le logement vont devenir les maux essentiels de l’économie algérienne. Les deux sont liés. Une amélioration de l’emploi pourrait induire un revirement des politiques de logement vers d’autres modes de financement. Mais, pour le moment, il faut essayer de trouver un équilibre pour faire coexister une politique de logement adéquate avec un taux de chômage qui ira grandissant. Nous allons consacrer la prochaine rubrique à l’emploi. Pour le moment, concentrons-nous sur la politique du logement. Qu’est-ce qui ne va pas ?  Que faut-il changer ? Quelles sont les politiques de logement dans le monde qui réussissent et celles qui échouent ? J’ai écrit en 1993 (Crise de l’économie algérienne) «dans le futur, chaque distribution de logements aboutirait à de graves émeutes».

Nous en sommes là et la situation n’est pas près de changer. Pour expliquer tout cela, il nous faudrait clarifier comment pensent les citoyens et comment réfléchissent les décideurs. Quand on dirige un pays, on gère également les anticipations et les attentes. La communication de l’Etat envers les citoyens consiste à dire que le problème du logement relève de la responsabilité des pouvoirs publics. Les nationaux n’ont qu’à être raisonnables et patients. L’Etat va prendre en charge ce besoin, surtout pour les catégories pauvres et moyennes.

En réalité, l’Etat injecte des ressources énormes et a des plans ambitieux (2 000 000 de logements sur cinq ans). Il est animé de très bonnes intentions. Il pense qu’avec les ressources mobilisées et avec une bonne volonté de tous nous arriverions à éradiquer les logements indécents. Il suffit de maîtriser le rythme des constructions et le mode de distribution. Le citoyen moyen s’est totalement déresponsabilisé de sa situation en matière de logement. Tout problème est imputé à l’Etat. Ce serait pour eux une distribution inéquitable et les logements sociaux fermés qui sont responsables de leur situation.

La réalité est têtue

Dans de nombreux pays, y compris les voisins, les citoyens internalisent le problème. Ils vous diraient : le problème du logement est en grande partie un problème personnel. C’est à moi de le régler. L’Etat peut aider avec des crédits, terrains etc., mais il demeure que l’essentiel doit provenir de mes efforts. Les attentes et les anticipations ont été gérées autrement. Bien sûr, il y a les problèmes de la méthodologie de répartition, la concentration de l’effort sur le logement social, la problématique de la propriété et la revente, les parcelles de terrain, les modes de financement et le reste.

Mais il demeure que la vaste majorité des citoyens attendent tout de l’Etat, témoin ce chef de famille qui entre dans le bureau du président de l’APC en lui signifiant ceci : «Vous devez me donner 4 logements, vous savez que mon frère et sa famille sont avec moi, puis mon fils et ma fille viennent de se marier, voilà leurs certificats ; nous avons donc besoin de 4 logements sociaux.» Mais le problème est le suivant : l’Etat est-il capable de satisfaire toute la demande et quand ? En second lieu, la méthodologie de raisonnement de nos experts en matière de programmation de logement est peu convaincante. Ils raisonnent à peu près ainsi : nous avons une population de 38 millions d’habitants.

En moyenne, un logement doit contenir 5 personnes. Les 5 ou 6 millions de logements déjà disponibles doivent abriter au moins 25 millions de personnes. Il nous manque donc 13/5 = 2,6 millions de logements. Au rythme de 2 000 000 tous les cinq ans, nous aurons réglé le problème en 8 ans. Mais toute cette arithmétique est fausse. Elle est statique. La réalité est têtue. Il faut comprendre le vécu sur terrain pour mieux la traiter.

L’Etat mobilise d’énormes ressources, veut bien faire, mais on se heurte à une administration inefficace et qui communique mal avec les décideurs. La réalité est la suivante : nous construisons chaque année entre 120 000 et 200 000 logements. Mais nous avons 350 000 mariages pas an, donc plus de 300 000 demandes nouvelles. Plus de 200 000 logements deviennent inhabitables parmi le stock disponible, en plus des 4 à 5 millions qui nous manquent. Il faut donc construire plus de 700 000 logements par an sur dix ans pour régler le problème. Chaque année, on construit 200 000 et la demande augmente de 700 000. Voilà la réalité.

Les alternatives disponibles

A mon avis, il y a plusieurs alternatives. Mais je citerai les deux les plus probables. L’une est à éviter, et la seconde qu’il faut suivre. La première alternative consiste à continuer à faire la même chose : construire 200 000 par an ; la demande évolue à plus de 700 000 et on essaye de faire patienter les citoyens. Le résultat serait que pour chaque attribution de logements il y aura au moins trois personnes qui ne l’auront jamais. Les responsables de la communication évaluent mal les conséquences des images télé qui véhiculent les nouvelles attributions de logements.

Pour chaque personne satisfaite, l’image crée la frustration, le dégoût et le sentiment d’injustice chez trois ou quatre autres. Il faut absolument rompre avec tout cela. La seconde alternative est celle qu’il faudrait absolument envisager. Elle consiste à réduire à la baisse nos ambitions. Le logement que notre pays donne presque gratuitement à ses citoyens nécessiteux ne peut être obtenu par un ingénieur allemand ou italien qu’au prix de grands sacrifices : consacrer 30% de son salaire aux remboursements bancaires pendant 30 ans.

Pouvons-nous, en tant que pays encore sous-développé et à grande population, donner un logement de cette qualité gratuitement à tous nos citoyens ? Je focaliserai uniquement sur le logement social, faute de temps. L’économie du logement consiste à analyser l’offre et la demande en fonction des coûts et des prix. Il y a des types d’habitation de moindre qualité (type préfabriqué spécial) qui coûterait trois à quatre fois moins que les logements sociaux actuels. Si on les adoptait, nous pourrions construire trois fois plus. Par ailleurs, ces logements de moindre qualité seront une amélioration considérable pour les vrais nécessiteux : bidonvilles, ceux qui vivent à 10 dans 25 m2. Mais les faux nécessiteux vont les bouder. Ils vont vendre leur véhicule, leur terrain ou chercher un crédit pour construire d’autres types de logements.

Bien sûr, il faut une meilleure répartition de la population, une stratégie de l’emploi, des besoins sociaux, etc. On ne peut tout dire ici. Mais là, nous avons un début de solution. La demande sur les logements sociaux va se réduire et on construira 3 fois plus. D’autres politiques peuvent être considérées pour les autres types de logements. On a donc un choix. Continuer la même chose avec des problèmes qui iront en s’aggravant. Ou remettre à plat la politique du logement et trouver des solutions réalistes et qui ne lèsent pas nos citoyens nécessiteux. Je suis sûr qu’une conférence nationale d’experts, d’ONG, de décideurs et de tous les acteurs de la scène du logement trouvera les solutions adéquates. Mais l’inertie est porteuse de graves troubles.

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